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Anthropologie de l’Organisation Mondiale du Commerce

Programme ANR

publié le

Traduction(s) : English

Anthropologie de l’Organisation Mondiale du Commerce

L’ambition de ce projet est de réaliser une anthropologie de la gouvernance transnationale, basée sur une enquête intensive, menée par un groupe international de chercheurs venus des quatre continents, à l’intérieur de l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC).

Dans le contexte de la globalisation, se trouve aujourd’hui posée de plus en plus crûment la question de la nature, du rôle et du pouvoir des organisations internationales. L’OMC qui a pour objectif de libéraliser le commerce à l’échelle planétaire en mettant en place un système de règles qui permette d’assurer la libre circulation des marchandises est particulièrement mal connue. Alors que les discours pour ou contre la libéralisation des échanges ont proliféré, nous ne disposons que d’une information superficielle sur le fonctionnement réel de cette organisation sur les négociations qu’elle met en œuvre et sur le règlement des différends qui surgissent entre les pays membres de l’OMC.
C’est la raison pour laquelle nous nous proposons de réaliser une recherche de terrain qui permettra de mieux connaître ces processus en tenant compte du caractère transnational et interculturel de cette organisation.

Nous entendons explorer quatre aspects caractéristiques de l’OMC :

1) Le pluriculturalisme

Il s’agit d’observer la manière dont les fonctionnaires travaillent sur ces dossiers et dont s’exprime la diversité culturelle propre à l’organisation. L’OMC se distingue des administrations qu’étudient généralement les sciences sociales pas son caractère multiculturel. Elle se trouve au carrefour de traditions administratives, des approches parfois contrastées du rôle du commerce et des échanges – par exemple entre le colbertisme à la française et le libre-échangisme britannique, des histoires politiques récentes hétérogènes - par exemple celle de la Chine du dernier demi-siècle.
C’est cette diversité et la manière dont elle s’exprime dans le travail quotidien des fonctionnaires qui nous intéresse. Pour rendre compte de la complexité de l’OMC, du caractère évolutif de cette organisation, il importe d’étudier pluriculturalisme de l’organisation sous ses différentes facettes. C’est le moyen de comprendre de l’intérieur ce que signifie en pratique la globalisation. La conjonction de différentes approches dans le fonctionnement quotidien du secrétariat et dans ses interactions avec les délégations nationales est un élément essentiel. On voit interférer des identités différentes et ce processus qui aboutit à la mise en œuvre de règles communes gouvernant le commerce planétaire participe à l’élaboration d’une communauté de projet dans un contexte où les intérêts particuliers ne s’articulent pas mécaniquement en une volonté générale. Le rapport complexe entre singularités culturelles et communauté de projet sera au centre de nos analyses.

2) L’exercice de la négociation

Tout observateur des activités de l’OMC ne peut qu’être frappé par l’importance qu’occupe la négociation dans les activités de l’organisation. La négociation est en effet le moyen indispensable pour atteindre l’objectif de libéralisation du commerce que se sont fixés les États qui constituent l’OMC. Il y a plusieurs niveaux distincts : l’intergouvernemental est le sommet de l’iceberg, mais tout un travail s’effectue à la base dans les groupes de négociation. Le secrétariat participe à tous les moments d’élaboration de la négociation. Aussi sera-t-il nécessaire, pour comprendre de l’intérieur le fonctionnement de l’organisation d’observer sur des dossiers concrets la manière dont travaillent les fonctionnaires, et dont se confrontent différentes positions dans le processus de négociation. Il s’agit d’étudier simultanément cette activité telle qu’elle se déploie en différents lieux et de mettre en évidence les principaux paramètres à l’œuvre dans ce processus. On tiendra compte de la diversité des acteurs, sans privilégier un des niveaux de négociation par rapport aux autres. On essaiera aussi de réfléchir sur l’articulation entre les dimensions politique, diplomatique et proprement économique de l’activité de négociation. Pour ce faire, l’observation des pratiques, les entretiens menés avec les différents protagonistes, permettront de recueillir des matériaux de première main et de contribuer à la connaissance de l’univers transnational.

3) Les représentations de l’échange à l’intérieur de l’organisation

On sait que la notion d’échange joue un rôle cardinal dans cette organisation qui se fixe comme but de « favoriser autant que possible l’harmonie, la liberté, l’équité et la prévisibilité des échanges ». Les débats parfois violents qui opposent plusieurs conceptions de l’équité font de l’OMC, en période de conférence ministérielle, un espace public, un forum à l’échelle mondiale où se confrontent des appréciations très différentes de la « liberté » du commerce et de l’« harmonie » des échanges. En ce sens, l’OMC constitue un espace politique à part entière, si l’on entend par politique un lieu de débats où il est question de la « cité globale » conçue comme un monde ouvert où il faut abolir les frontières qui brident le fonctionnement de l’économie mondiale. D’autres dimensions sont en jeu qu’une vision purement « économiste » de l’échange tend à occulter, et qui font de l’OMC un lieu particulièrement intéressant pour comprendre les enjeux de la gouvernementalité lorsqu’on change d’échelle pour accéder à un niveau politique englobant.
C’est pourquoi il nous semble particulièrement intéressant de prendre en compte dans l’enquête les représentations de l’échange et du rapport entre l’économique et les autres dimensions du social.

4) La recherche du consensus

L’OMC se distingue de la plupart des autres grandes institutions internationales par l’importance qu’elle attache au consensus. Les décisions de l’OMC engagent l’unanimité de ses membres. Cela leur confère une légitimité forte. Cependant, comme on l’a vu à Cancun, il est parfois impossible d’obtenir un consensus, en raison de la diversité des intérêts nationaux et de l’impossibilité de les concilier. La nécessité du consensus a pour conséquence de rendre toute négociation longue et laborieuse.
Comment produit-on du consensus à l’échelle transnationale ? Quel est le rôle du secrétariat dans cette quête du consensus ? Pour analyser ce processus dans sa complexité, il faut prendre en compte le fait qu’on a vu émerger des coalitions qui regroupent des pays partageant des intérêts communs.

Méthodologie

Comment en pratique mener à bien une recherche de terrain à l’intérieur de l’OMC ? Notre méthodologie implique qu’on procède à une véritable immersion au sein de l’organisation. Comme le font les anthropologues lorsqu’ils explorent des sociétés éloignées, nous effectuerons un véritable travail de terrain à l’intérieur des organes de l’OMC. Le principe de la recherche n’est pas de plaquer une grille préétablie d’interprétation, mais de se mettre à l’écoute de ce qui se pense dans l’organisation, et d’élaborer les hypothèses de travail à partir de cette écoute. La recherche de terrain se focalisera sur les délégations et le secrétariat de l’organisation. Nous prendrons pour point de départ les pratiques quotidiennes des délégations et du secrétariat, en menant des entretiens avec les différents protagonistes. Cette méthode implique de la part des chercheurs une familiarisation avec les dossiers traités et une aptitude à observer les aspects matériels et intellectuels du fonctionnement de l’OMC. Elle implique une interaction avec ces derniers : c’est cette interaction qui permettra d’obtenir des résultats significatifs.

Composition de l’équipe

L’équipe de recherche internationale comprend des anthropologues issus de différentes régions du monde : Amérique latine, Amérique du Nord, Asie, Europe, afin de mieux comprendre la diversité des enjeux et de croiser des regards différents sur l’organisation.

- Marc Abélès, France, Professeur, Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales (France) ;

- Máximo Badaró, Argentine, Professeur, Universidad Nacional de San Martín (Argentine) ;

- Linda Dematteo, France, PostDoc, Laboratoire d’Anthropologie des Institutions et des Organisations Sociales (EHESS-CNRS, France) ;

- Paul Dima Ehongo, Cameroun, Chercheur associé, Université de Paris I (France) ;

- Jae Aileen Chung, Corea, Professeur, University de Aalen (Allemagne) ;

- Cai Hua, China, Professeur, Université de Pékin (Chine) ;

- George Marcus, États-Unis, Professeur, University of California, Irvine (États-Unis) ;

- Mariella Pandolfi, Italie, Professeur, Université de Montréal (Canada) ;

- Phillip Rousseau, Canada, Doctorant, Université de Montréal (Canada).

Durée de la recherche : 3 ans

Financement de la recherche : Agence Nationale de la Recherche, France

Coordination
Prof. Marc Abélès, IIAC LAIOS
EHESS 105 boulevard Raspail 75006 Paris

Tel : 33149542198

Fax : 33149542190

Email : marc.abeles@ehess.fr

Website : www.iiac.cnrs.fr/laios/