Une exposition de photographies de Pierre Bouvier est actuellement proposée dans le hall du bâtiment « le France » du 20 au 30 octobre 2014. Images d’un voyage entrepris dans les années 1966-1967 en Afrique et en Asie, ces phographies posent un regard sur plusieurs pays traversés – Sénégal, Mali, Congo, Kenya, Inde, Japon, notamment. Des photos qui furent prises il y a maintenant presque cinquante ans, à une époque où certains des pays visités venaient d’accéder à l’indépendance. Certaines images ont été reproduites dans le livre : De Dakar à Tokyo, carnets de voyage (Galilée, 2014) d’autres sont inédites.
Textes et photos : Pierre Bouvier
Exposition de photographies de Pierre Bouvier
illustrations de son ouvrage « De Dakar à Tokyo, carnets de voyage », EHESS/FMSH 190 av. de France, 75013 Paris - du 20 au 30 octobre 2014.
Chan Langaret et Pierre Bouvier lors de l’installation de l’exposition. Photo : Antonio Farinhas Rodrigues
Lieu : Atrium, rez-de-chaussée du bâtiment Le France, 190 av de France, 75013, Paris
Station de métro : Quai de la gare (ligne 6) ou Bibliothèque François Mitterrand (ligne 14)
Horaires : Du lundi au vendredi de 8h à 21h et samedi de 8h à 13h.
Du 20 au 30 octobre 2014. Entrée libre.
Exposition réalisée sous les auspices du Rectorat de l’Académie de Paris, l’Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales (EHESS), la Fondation Maison des Sciences de l’Homme (FMSH), l’Institut Interdisciplinaire d’Anthropologie du Contemporain (IIAC) et le Laboratoire d’Anthropologie des Institutions et des Organisations Sociales (LAIOS).
Pierre Bouvier devant une de ses photographies. Photo : Antonio Farinhas Rodrigues
Pierre Bouvier et Chan Langaret. Photo : Marion Dupuis
PRESENTATION DU LIVRE « DE DAKAR A TOKYO, CARNETS DE VOYAGE »
Les régions que je traverse, dans la fin des années 1960, présentent divers aspects du vivre ensemble. Dans ce mitan du xxe siècle, l’accession à l’indépendance des ex-colonies s’est pleinement manifestée. Dorénavant, territoires et populations précédemment astreints à la tutelle étrangère revendiquent leurs droits à l’expression de leurs pratiques et de leurs représentations politiques, sociales et culturelles. La dynamique de ces mutations et la recomposition des rapports entre nations et entre modèles de société ouvre un champ d’options possibles.
Les alternatives sont soit celles d’un néo-colonialisme libéral, soit celui d’un socialisme étatique ou celle d’une voie autonome entre ces deux principales directions. Cette dernière a commencé à s’exprimer lors de l’accession à l’indépendance de territoires sous tutelle britannique puis hollandaise. Ce fut en particulier le cas de l’Inde. En Afrique sous contrôle français la décolonisation est plus tardive. Elle s’effectue à la fin des années 1950-1960. C’est dans cette toile de fond faite de tensions mais également d’alternatives, de diversités que se situe ma pérégrination. D’autres espaces semblent possibles : ceux d’une neutralité, d’un non-alignement sur les super puissances de l’époque accompagnés de gestion autonome, d’une solidarité entre nations émergentes.
Relater ces contextes d’hier apparaît aujourd’hui, en 2014, d’autant plus nécessaire que l’heure est à la mondialisation, au retrait des socialismes et à la montée des extrémismes religieux.
Ces carnets de route vécus et pris sur le champ, sont écrits à la première personne. Ils transcrivent ce qu’un jeune Européen, moi-même, né avant la seconde guerre mondiale, a pu saisir intellectuellement mais aussi dans l’épaisseur de la chair et de ses émotions. C’est au fil de cette coprésence aux tensions et aux diversités que se situe ce récit, prélude à des travaux socioanthropologiques ultérieurs (Dont La socio-anthropologie, A. Colin, 2000 ; Le lien social, Gallimard, 2005 ; De la socioanthropologie ; Galilée 2011)
L’expo en plan rapproché. Photo : Marion Dupuis
Discussions autour de l’expo. Photo : Antonio Farinhas Rodrigues
QUELQUES EXTRAITS PRESENTES LORS DE L’EXPOSITION
J’ai l’impression que leurs comportements me concernent, me touchent. Mes actes ne frappent pas une matière insonore, leurs réponses ont un sens en moi. Je leur suis sensible.
Il est vrai qu’ils m’ont connu : colon, missionnaire, manuel scolaire, « nos ancêtres les gaulois » ; que mon langage a mordu sur eux…
Que je sois comme les chamans, les sorciers, les sâdhus, nus, au milieu de la chaussée et tous ces autres aperçus, en zone claire de leur être au monde, à l’intérieur de notre système dont les assises sont ces pivots qui suscitent nos rencontres.
Pour les uns et les autres il faut que je sache accommoder mon esprit à leurs angles d’appréhension pour que, en m’accommodant, je les vive plus précisément. Il faut aussi que moi-même je sois plus clair que je ne le suis, plus résonnant à leurs palpitations.
Le scarabée tâtonne, cherche, remue ses antennes, hésite. (…). Pierre Bouvier, De Dakar à Tokyo, pp. 29-30.
Des hommes déguenillés errent au milieu des véhicules, apparemment indifférents au danger… Fatigués on se couche presque n’importe où, sur le sol, sur un lit de corde. Je ne réussis pas à me définir devant tous ces pensionnaires de trottoirs allongés sur des journaux, devant ceux qui, attelés comme des bœufs, tirent des chariots, ceux qui prennent des sucreries extraites de machines hors d’âge, ces vendeurs d’arachides que caramélise un petit pot sous lequel se tient un feu, ces artisans qui pincent une corde, signe de leur offre de service, de leur disponibilité. J’éprouve une fascination pour toutes ces silhouettes, ces lépreux qui geignent dans les caniveaux, pieds et mains bandés. Il faudrait que je ne sois pas dépendant de ce genre. Le monde serait un spectacle sans éprouver autre chose que du plaisir et encore un plaisir abstrait, exotique, historique, n’être qu’un regard d’entomologiste, ou alors n’être qu’un touriste lambda pris entre les chauffeurs de taxi, les guides, les domestiques, tous ces personnages stéréotypés qui savent gérer. Pierre Bouvier, De Dakar à Tokyo, p. 116.
Les touristes ne s’intéressent qu’à ceux qui sont à leur image. Ils ignorent les journaliers, les paysans, les ouvriers. Au mieux, certains rencontrent des membres de l’élite occidentalisée, voire locale, sinon leurs interlocuteurs ne sont qu’interprètes, chauffeurs de taxi, portiers, serviteurs de tout ordre. Pierre Bouvier, De Dakar à Tokyo, pp. 179-180.
L’exposition vue d’en haut. Photo : Marion Dupuis