Cafés, styles et territoires
Séminaire de travail 22 octobre 2002
Dirigé par Jean-Charles Depaule et organisé par Éliane Daphy
10 h - 13 h
Agnès Jeanjean
Ce qui du chantier se joue au café
Chercheur associé au LAU
Maître de conférences en ethnologie, Université de Nice-Sophia Antipolis
98 Boulevard Edouard Herriot
BP 3209-06204 Nice Cedex 3
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À partir de données recueillies lors d’une recherche sur les chantiers de travaux publics à Montpellier, je souhaite montrer comment la fréquentation - licite ou non - de cafés pendant le temps de travail participe à l’élaboration d’identités et de relations professionnelles ainsi qu’à l’affirmation de points de vue sur le travail et sur ce qu’il doit être. Pour les conducteurs de travaux et les chefs de projets par exemple, signer un compte rendu de chantier dans un café correspond à un mode d’engagement parfois bien différent de celui qui se noue dans un bureau et qui ne mobilise pas les mêmes valeurs. Il s’agira de repérer quelques modes d’articulations entre ces valeurs et les cafés en prêtant notamment attention au choix du café, à sa localisation, au temps passé, aux boissons consommées (plus ou moins alcoolisées) et en comparant les modalités de fréquentation selon les statuts professionnels, les positions hiérarchiques et l’état des corps (protégés ou non des contacts avec les matériaux du chantier).
Michel Bozon
Vingt ans après : retour sur « la fréquentation des cafés dans une ville ouvrière »
Directeur de recherche INED
Unité de recherche « Démographie, genre et sociétés »
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Retour sur « La fréquentation des cafés dans une ville ouvrière. Une sociabilité populaire autonome ? », article publié dans Ethnologie française 1982/2 : 137-146 (n° « Anthropologie culturelle dans le champ urbain », présentée par Michelle Perrot et Colette Pétonnet).
14 h 30 - 17 h 30
Diana Rey-Hulman
Monographie, des lolo à Saint-Louis. Histoire et devenir
CR1 CNRS (Laboratoire d’anthropologie urbaine)
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Le lolo, lieu de vente au détail : de boissons - rhum principalement - et de produits de première nécessité - sel, allumettes, morue, pétrole, huile, allumettes, papier hygiénique - est situé dans les zones semi-urbanisées aux carrefours des routes et dans les rues transversales des bourgs, la rue centrale étant occupée par le commerce de gros. Affaire de femme, le dépôt de marchandise installé dans la pièce arrière de la galerie ne devient un lolo que lorsque la propriétaire de la maison dispose sur cette véranda une table et des chaises pour que les clients hommes (les femmes ne boivent pas de rhum en public) puissent s’arrêter pour consommer un coup de rhum. Dans tous les cas, le lolo est partie intégrante de la maison, les portes s’ouvrent ou se ferment en fonction du lever et du coucher de la tenancière. Pour créer son lolo, une femme se procure l’argent des marchandises grâce à des activités festives payantes : « dîner-dansant », « bal à quadrille ». Le reste des boissons qui ont été achetées à ces occasions va pouvoir être écoulé par la suite : un débit de boisson naît ainsi ; reste alors à le pérenniser. Dans une maison isolée de la campagne, les clients sont des invités souvent éloignés qui n’auront pas l’occasion de revenir, tandis qu’en ville, les invités sont entre autres les voisins qui pourront revenir les jours suivants pour consommer de la boisson : du rhum et/ou du vermouth Noilly Prat. Ces boissons, porteuses d’un fort symbolisme sacrificiel, contribuent à sacraliser l’espace d’échange commercial. Le bal à quadrille est organisé par des femmes dont on dirait en Afrique Noire « elle fait boutique de son cul » ; à Marie-Galante, la désapprobation est détournée : « une femme de famille X (Hulman en l’occurrence, ethnologie participante oblige !) ne fréquente pas ce lieu ». Ainsi, les femmes, non mariées ou sans concubin assidu, pérennisent leur lolo en une sorte de tripot fréquenté par les joueurs de dominos, jusque vers 10 heures du soir, heure à laquelle les hommes se doivent de rejoindre épouse, concubine ou maîtresse. Le devenir des lolo : épicerie, et récemment restauration, avec le développement touristique. Le lolo déborde de l’espace intime : l’aspect commercial s’amplifie et les relations d’entraide sexuelle deviennent prostitution.
Nicolas Rey
« Tenir » son lolo dans les quartiers spontanés de Pointe-à-Pitre : une compétitivité parfois à mort
Docteur en anthropologie, Université de Paris 1
Membre stagaire au LAU
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Dans les quartiers spontanés en périphérie de la ville principale en Guadeloupe, le lolo occupe une place de premier plan tant socialement que spatialement.
Socialement, le lolo, commerce de proximité, est un lieu de passage incontournable pour tous les habitants, des plus petits aux plus âgés : le tenancier du lolo sera toujours de bons conseils pour les jeunes du quartier, tandis que les plus anciens pourront en fin de journée venir jouer aux dominos autour d’une bouteille de rhum, sur la terrasse. Spatialement, le « gand lolo » est stratégiquement bien placé au carrefour des rues principales du quartier, et cette occupation semble remonter aux toutes premières heures de la construction de ces quartiers spontanés. En effet, les propriétaires de ces « gands lolo » sont le plus souvent les premiers à être venus s’installer dans ces quartiers, sur des terrains inoccupés qu’ils ont d’abord « squattés » pour ensuite les redécouper en parcelles pour la location. Ce type d’occupation de l’espace, appelé lakou en créole (« la cour »), est ainsi dominé par les propriétaires de lolo, qui dès lors contrôlent et le commerce (lolo), et le logement (lakou) depuis la constitution des quartiers spontanés. Et dans ces lieux d’occupation illégale, où la pauvreté est la mieux partagée, celui qui arrive à tirer bénéfice « du quartier », en l’occurrence le propriétaire de lolo, ne le peut qu’au prix d’une compétitivité parfois « à mort » avec les autres tenanciers, en faisant aussi appel à des pratiques magico-religieuses. Nous allons donc tenter d’appréhender dans sa totalité socio-spatiale, le lolo, dans le quartier de « Boissard », situé au nord de Pointe-à-Pitre. A partir de schémas on présentera une localisation et une classification de la dizaine de lolo qui ont vu le jour à Boissard, en revenant sur les conditions de disparition de certains et du maintien d’autres, jusqu’à nos jours. On constatera que plus on « s’enfonce » dans le quartier, et plus le caractère « illégal » du lolo est accentué (en entrée du quartier, sur le boulevard, boutiques sans consommation d’alcool, et plus en arrière, dans les ruelles, vente et consommation d’alcools dans des cases aux volets fermés, ou bars dancings rassemblant la nuit homosexuels et prostituées). Et on mettra l’accent sur les lolo de Madame Lorenti, qui fut la première habitante de Boissard à ouvrir un lakou (« la cour Lorenti ») tout en tenant le lolo le plus important du quartier. Monsieur Jerpan, Marie-galantais ayant pris le relais de madame Lorenti après sa mort dans le leadership des lolo sur Boissard.
Catherine Servan-Schreiber
Intermède sur un lolo indien en Guadeloupe
CR1 CNRS, Centre d’études de l’Inde et de l’Asie du Sud-Est (CNRS/EHESS)
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On décrira, sous forme d’intermède, un lolo guadeloupéen tenu par une femme d’origine indienne, Madame Hélène Nanhou, à Capesterre, en s’attachant à montrer comment cette pratique symbolise l’intégration de la communauté indienne, et en comparant cet univers à celui de commerces semblables dans l’Océan indien. Trois angles seront retenus :
1) Les implications du côté « transgressif » de cette activité en milieu indien ;
2) Le système d’échange et de renvoi pratiqué pour s’assurer la fidélité d’une clientèle dans un établissement à l’écart du centre urbain ;
3) Les stratégies mises en œuvre pour répondre à la compétitivité décrite par Diana Rey-Hulman et Nicolas Rey, et leurs répercussions sur les relations familiales.
Laboratoire d’anthropologie urbaine
27 rue Paul Bert
94204 Ivry-sur-Seine (cedex)
Métro Porte de Choisy ou d’Ivry
Contact : daphy@ivry.cnrs.fr
Tél : LAU 01 49 60 41 87