Responsable
Catherine CHORON-BAIX
Participants
Jean-Charles DEPAULE
Francine FOURMAUX
Liliane KUCZYNSKI
Yves LACASCADE
Olga MURO
Patrick WILLIAMS
Appartenances, identités
Patrick Williams prépare un ouvrage de synthèse qui présentera une “ théorie de l’identité tsigane ”. Parallèlement à cette théorie, dont les propositions seront fondées sur une approche ethnologique, un autre volet s’impose qui sera à la fois un récit ethnographique et une réflexion sur les méthodes d’enquête. Marie Treps a, pour sa part, entrepris une étude du romeno lap, nom de personne utilisé à l’intérieur des communautés manouches, en effectuant des enquêtes en Lorraine et dans le Bordelais. A partir d’un corpus littéraire elle a construit également une étude des noms donnés aux Tsiganes par les non-Tsiganes dans une perspective de linguistique historique.
Liliane Kuczynski mène une enquête comparative dans les deux îles des Antilles sur la variété des formes d’islam qui s’y sont implantées (sunnisme malékite hégémonique en Martinique vs sunnisme malékite et hanafite, chiisme, salafisme en Guadeloupe). Les différences doctrinales résultent de plusieurs facteurs : outre l’histoire migratoire propre, le stade d’organisation de l’islam (plus précoce en Martinique) et l’influence plus ou moins sensible de l’islam venant d’Afrique ou de celui venant de métropole (le salafisme, importé de métropole, ayant pu se faire une place en Guadeloupe en raison, notamment, de la moindre organisation des musulmans dans cette île). Liliane Kuczynski s’attache aux multiples circulations et influences, mais aussi à l’accommodement et au renouvellement antillais de l’islam, tant auprès des migrants de diverses origines qu’auprès des Antillais convertis.
L’un des enjeux de cette recherche est de cerner un groupe instable, mobile tant dans ses composants, ses arrangements, que dans ses adhésions, l’accent étant mis sur la dynamique, le provisoire. Par ailleurs il s’agit d’articuler l’existence de cette entité réelle aux limites indécises avec l’appartenance à la Umma, communauté virtuelle des croyants. Sur le plan épistémologique, cette perspective permet donc de tester les limites de ce qu’on peut nommer un “ groupe ”.
Comme les travaux de Liliane Kuczynski, le projet d’Olga Muro illustre bien le lien étroit qui existe entre ce deuxième grand axe thématique, “ Compositions et recompositions... ”, et le précédent. Dans le prolongement de sa thèse sur l’immigration espagnole, elle se propose d’approfondir le thème de la double revendication identitaire chez les jeunes d’origine espagnole et l’articulation possible entre nationalités et représentations de la France et de l’Espagne. Et d’aborder la troisième génération de l’immigration des années 1960 par rapport à la transmission transgénérationnelle, en essayant de répondre à plusieurs interrogations : que transmet la deuxième génération à ses enfants ; la troisième génération se fond-elle dans la société française à l’instar de celle des années 1920 et 1930 ? Les changements observés dans les constructions identitaires chez les jeunes issus de l’immigration des années 1960 vont-ils, au contraire, aboutir à de nouvelles modalités de construction des identités ? Des membres de la deuxième génération sont partis vivre en Espagne, laissant parfois leurs parents en France, d’autre envisagent un “ retour ” en Espagne. En rupture avec les pratiques observées au cours du XXe siècle, que signifient ces nouvelles stratégies ? Sont-elles à mettre en parallèle avec les revendications de double nationalité ?
Dans la thèse qu’il consacre à de jeunes hommes fils d’immigrés vivant dans une cité d’une petite ville du nord de la France, Yves Lacascade se demande, quant à lui, si l’horizon dans lequel leur existence et celle de leur compagne se déploient n’est pas essentiellement celui de la migration possible ou impossible (celle des générations antérieures, qu’ils s’efforcent de poursuivre en tentant leur chance ailleurs que dans leur ville), et si leur propre condition n’est pas comme une répétition ou une reproduction déformée de celle, pour partie méconnue, de leurs pères. Il met au jour une forme de migration « par un autre moyen », le mariage « selon le vœu des parents » qui peut les conduire à épouser une femme choisie dans le pays d’origine.
Reformulations culturelles
On rappellera d’abord le travail sur le jazz mené par Patrick Williams, en collaboration avec Jean Jamin, directeur d’études à l’EHESS. Il a donné lieu à plusieurs opérations, dont un numéro spécial de l’Homme. Un séminaire de recherche à l’EHESS a été mis en place en 2001-2002 pour cinq années universitaires.
Catherine Choron-Baix étudie le regain d’intérêt des Lao installés en France pour leurs traditions artistiques et interroge l’émergence, au sein de cette diaspora, du sentiment patrimonial et de son articulation au mouvement traditionaliste qui se développe dans le même temps dans leur société d’origine, en République démocratique populaire lao. Cette recherche se fonde sur l’expérience de troupes de jeunes danseuses amateurs, dont l’apprentissage des arts chorégraphiques classiques du Laos est soumis à toutes sortes d’aléas qu’elle recense et analyse. Elle s’intéresse par ailleurs à l’action des migrants dans la circulation des productions culturelles. Prenant pour exemple la musique populaire lao, elle observe la transposition d’une tradition de chant alterné au sein de la diaspora et les procédures de recyclage dont celle-ci est l’objet dans son contact et sa “ fusion ” avec une musique produite en Grande-Bretagne et inspirée du reggae jamaïcain.
Ces recherches viennent à l’appui d’une réflexion collective qu’elle a initiée au sein du LAU depuis 2002, dans le cadre d’un séminaire d’équipe mensuel intitulé “ Contact de cultures et processus créateurs ”, qui doit se poursuivre encore pendant deux ans. A la lumière des contributions traitant de phénomènes de transculturalité dans la création et des échanges dans le domaine littéraire, l’idée d’un mélange plus généralisé, dans les créations contemporaines, des genres et des disciplines, des techniques, des outils, des normes et des esthétiques s’est imposée : les créateurs empruntent aujourd’hui au passé et/ou puisent leur inspiration dans la diversité des objets culturels désormais mondialement diffusés. Ils annoncent un certain retour de l’éclectisme, sous des formes nouvelles, toutefois, que cherchent à repérer et à décrire les participants à ce séminaire, consacré à ce thème en 2004-2005. Une journée d’étude, le 10 mai 2005, clôturera les travaux de l’année. Elle alternera les approches historiques, théoriques, et la présentation de matériaux ethnographiques.
Deux enquêtes menées en parallèle par Jean-Charles Depaule relèvent de ces orientations. Il a commencé d’observer, d’une part, la façon dont se forment et se transforment les pratiques poétiques en France pour la génération des “ jeunes” poètes (qui ont entre trente et quarante ans), dont un nombre significatif est issu d’études en arts plastiques. Il suit d’autre part la recomposition du champ poétique arabe : on assiste, avec l’usage des médias informatiques, à un désenclavement de la poésie maghrébine, même si se maintient une centralité culturelle "légitimante" dans l’Orient arabe, qui, à travers l’activité éditoriale (journaux, revues, sites Web, livres...), est encore un important foyer pour les échanges, allant s’intensifiant et favorisant les contacts, au sein du Monde arabe et avec des auteurs étrangers.
Marie Treps s’intéresse aux emprunts linguistiques en tant qu’emprunts culturels, qu’ils soient purement pragmatiques (soutenus par des courants commerciaux ou nécessités par l’évolution des techniques) ou plutôt affectifs (suscités par des phénomènes de fascination). Et, plus particulièrement, aux termes culturels recueillis dans des contextes de conquête ou de colonisation, aux processus de dévoiement dont ils font l’objet, à leur réappropriation éventuelle par les jeunes générations.