Responsable
Dorothée DUSSY
Participants
Orsetta BECHELLONI
Yves DELAPORTE
Francine FOURMAUX
Agnès JEANJEAN
Olga MURO
Anne RAULIN
Le corps comme signe. Marques et styles
Plus visibles dans le spectacle, dans le music-hall et le cirque - étudiés par Francine Fourmaux - où le corps est formé et mis scène, la construction et la représentation de celui-ci sont abordées également dans d’autres contextes. Dans sa thèse sur les trajectoires d’un groupe familial de Voyageurs installé depuis près d’un siècle à Beaune en Bourgogne, Orsetta Bechelloni décrit la manière dont le désir de respectabilité et de reconnaissance s’accompagne d’une contrainte exercée sur le corps des enfants, et amène, à l’âge adulte, à une attention soutenue pour l’habillement, marqueur d’appartenance surtout pour les femmes, pris parfois pour modèle d’expression d’une certaine féminité à l’extérieur du groupe et participant à des jeux de séduction et de marchandage dans l’espace urbain. A travers l’observation des pratiques et à partir du matériel photographique recueilli, mais également des vidéos cassettes de famille, Orsetta Bechelloni développe une interrogation autour du corps, de ses formes possibles d’expression et de son contrôle.
Olga Muro envisage une enquête sur la communication non verbale chez les étudiants parisiens, organisée autour de plusieurs interrogations. Peut-on voir dans des signes comme la casquette, les dreadlocks, le piercing, le tatouage ou le foulard, un marquage de territoire ? Des syncrétismes dus à une banalisation du vêtement et de la parure à connotation ethnique ? Si le port du foulard est interprété couramment comme un renouveau de l’islam en France ou une protection, ne faut-il pas, au contraire, le comprendre comme une auto-valorisation et comme une rupture des modalités traditionnelles de constructions identitaires chez les enfants de migrants ?
Noël Jouenne, quant à lui, aborde la relation au corps et les processus d’individuation (selon la catégorie mise en avant par G. Simondon) à travers des objets techniques à partir d’une enquête sur l’histoire des calculatrices de poche.
Le corps qui « signe »
Yves Delaporte poursuit ses recherches sur les modes de construction et d’évolution des langues gestuelles. La langue des signes est la langue première de 80 000 citoyens français, généralement sourds profonds de naissance (naguère “ sourds-muets ”). Si toute collectivité de sourds, y compris rurale et réduite à quelques individus, crée spontanément des protolangues gestuelles qui disparaissent avec leurs locuteurs, la langue des signes française d’aujourd’hui s’est élaborée dans les concentrations urbaines depuis le milieu du XVIIIe siècle, notamment à Paris : les locuteurs y sont en nombre suffisant pour que leurs productions langagières se transmettent au fil des générations.
Les recherches actuelles d’Yves Delaporte portent sur l’histoire du lexique de cette langue : modes de construction et d’évolution des signes. Aux XVIIIe et au XIXe siècles, le lexique est encore très largement iconique : les signes stylisent les formes des objets du monde, en faisant grand usage des métaphores ambiantes (le cœur comme siège des sentiments, etc.). L’interdiction de la langue des signes pendant un siècle à partir de 1880 en a fait une langue clandestine, entraînant une évolution rapide et incontrôlée : aujourd’hui des centaines de signes sont devenus opaques ; ils ont perdu toute iconicité et leur étymologie est inconnue.
La méthodologie de recueil des matériaux combine les enquêtes de terrain sur la langue parisienne et les dialectes provinciaux et les recherches sur archives, imprimées et manuscrites. Il s’agit, d’une part, a) de recueillir les unités lexicales et d’en garder la trace sous forme de descriptions (6000) et de photographies converties ensuite en dessins, mieux appropriés à la publication scientifique, notamment parce que le dessin permet de noter les mouvements ; b) de noter les sens dont les signes sont porteurs. Le découpage du champ signifié est souvent très éloigné de celui qu’opère le français. Il s’agit d’autre part de dépouiller la vaste littérature du XIXe siècle consacrée aux sourds-muets, pour y repérer des descriptions de signes susceptibles d’être les étymons de signes actuels.
La méthodologie d’analyse des matériaux consiste a) à rechercher des séries évolutives suffisamment documentées pour permettre de dégager des tendances homologues des lois phonétiques des langues vocales (par exemple : “tout mouvement long et unique tend à se modifier en un mouvement court et redoublé”) ; b) à s’appuyer sur ces tendances pour reconstruire l’histoire du lexique dans son ensemble.
Le corps mis à l’épreuve
Les corps socialisés sont mis à l’épreuve par les bruits qu’analyse Tatiana Guélin dans l’habitat de villes moyennes françaises en relation avec la sociabilité de voisinage, en prenant en compte de façon fine la variabilité interindividuelle. Elle s’emploie aussi à mettre en perspective celle-ci à la lumière de contextes culturels distincts, notamment à partir de milieux russes d’immigration récente. Par-delà les différences physiologico-acoustiques, la diversité des sensibilités aux bruits apparaît comme le produit d’agencements singuliers (de dimensions sociales, sociétales, culturelles) qui s’inscrit dans un vécu corporel des plus intimes : celui de la « spontanéité » des réactions auditives en contexte d’habitat.
Les recherches d’Agnès Jeanjean, dans le cadre du LAMIC (laboratoire d’anthropologie de l’université de Nice) et en relation avec le LAU, portent sur les représentations que développent, à propos de leur travail et d’eux-mêmes, des hommes conduits à toucher et à penser des substances “ abjectes ”. Elle participe à un programme (dir. Joël Candau, Nice) sur les corps et les mots au travail, sur l’engagement des sens et plus particulièrement de l’odorat. L’étude des descripteurs olfactifs est au cœur de cette recherche. Deux articles sont en préparation. Le premier, en collaboration avec Joël Candau, est consacré aux activités professionnelles en contact avec des odeurs de corps morts ou malades et des odeurs d’égouts (égoutiers, employés de stations d’épuration). Le second article doit restituer quelques uns des résultats d’une étude menée à Rabat-Salé, qui font apparaître des mécanismes de construction et ou de légitimation de positions sociales articulées aux distances symboliques et réelles entre les habitants et les déchets. Elle envisage à plus long terme de poursuivre ses recherches sur les activités en milieu urbain, qui ne seraient plus directement en rapport avec des déchets : chantiers, travail en milieu carcéral (gardiens mais aussi détenus), activités délocalisées, sous-traitance...
Dorothée Dussy, elle, traite d’une épreuve indicible du corps, en dessinant les lignes d’une anthropologie de l’inceste. Elle propose une relecture critique de l’héritage anthropologique (qui l’assimile à son interdit, un interdit fondateur) et de la vision des psychanalystes, préalable à une très délicate enquête de terrain, en France et au Canada, dont elle a défini les conditions et les limites.