Organisé par le Centre Edgar Morin/iiAC, en collaboration avec University College London, UK
Le lundi 15 juin 2009 à la Maison Suger, 16-18 rue Suger, 75005 Paris
Le Symposium de l’Université des Nations Unies (UNU) « Science and Praxis of Complexity » qui eut lieu à Montpellier (France) en 1984 réunissait des personnalités renommées comme Prigogine, Boulding, Pribram, Luhmann, Morin, Le Moigne ou Atlan, parmi d’autres. Ce fut la première manifestation internationale sur la science de la complexité. Il s’agissait d’explorer les conséquences épistémiques de concepts tels que non linéarité, auto-organisation et émergence, dans des systèmes composés de nombreuses parties en interaction.
Cet événement coïncida, la même année, avec la création du Santa Fe Institute, aux Etats-Unis, qui se donnait pour l’essentiel les mêmes thèmes : interdisciplinarité, complexité, émergence. Ce fut le premier centre interdisciplinaire exclusivement voué à l’étude des systèmes complexes.
Deux Complexités
Il est remarquable que des nombreux participants à la conférence de l’UNU et des membres fondateurs du Santa Fe Institute divergent dans leur approche de la complexité. Pour Edgar Morin et Jean-Louis Le Moigne, par exemple, la complexité est liée au problème de l’incertitude dans la connaissance. C’était principalement une position épistémologique visant le dépassement de la disjonction traditionnelle dans la connaissance entre le sujet de la connaissance (l’observateur) et son objet (l’observé). La brèche se situait au fondement même de la science classique et dans ses principes déterministes, réductionnistes et abstraits ; de plus, ce que Morin et Le Moigne appelaient le « changement de paradigme » de la complexité se trouve chargé d’implications sociales et éthiques (The Science and Praxis of Complexity. Contributions to the Symposium Held at Montpellier, France, 9-11 May, 1984, The United Nations University, 1985 ; Morin, Edgar, La Méthode, 6 vols, Seuil, Paris). En revanche, pour les fondateurs Santa Fe Institute, tels Murray Gell-Mann ou John Holland, la complexité était principalement la « science des systèmes complexes adaptatifs ». Cette définition délimitait un champ scientifique s’appuyant sur des outils computationnels pour la modélisation de systèmes comportant un très grand nombre de composants par nature indépendants, fortement interconnectés et interactifs. Les interactions adaptatives entre ces parties peuvent donner lieu à l’émergence de structures et de fonctions d’auto-organisation, apprentissage et évolution à l’intérieur des systèmes (COWAN, George A., PINES, David et MELTZER, David, Complexity : Metaphors, Models and Reality, Addison-Wesley, MA, 1994).
De plus, si l’angle adopté lors de la réunion de UNU consistait à rapprocher la philosophie et la science, la complexité envisagée par le Santa Fe Institute recrée des champs scientifiques voisins, tels que la physique, la chimie, la biologie, l’écologie, l’informatique et l’économie, dans un cadre mathématique et formel commun. Depuis les années 90, des centres voués à l’étude des systèmes complexes adaptatifs sont apparus tout autour de la planète. La dynamique émergente de systèmes physiques, biologiques et sociaux est désormais étudiée principalement au moyen de la modélisation et de la simulation multi-agents, en incluant des formalisations telles que les automates cellulaires, les réseaux neuronaux ou les algorithmes génétiques.
Le tournant dans notre définition de la complexité est plus évident encore si l’on compare les approches actuelles à celles qui étaient dominantes dans les années 70 et 80, d’ordre plus théorique, épistémologique et philosophique. Vingt-cinq ans après ces expériences pionnières, notre Symposium veut confronter ces deux approches : la « modélisation de systèmes complexes » et la « pensée complexe », et interroger la possibilité d’ouvrir un espace de dialogue et de communication entre elles.
Vers une nouvelle synthèse d’approches divergentes de la complexité ?
Le Symposium sur la Modélisation de Systèmes Complexes et la Pensée Complexe surgit d’un échange scientifique en cours entre le Centre Edgar Morin, EHESS, Paris, représenté par son directeur, Claude Fischler, et des chercheurs en complexité de l’University College de Londres, représentés par Sylvia B. Nagl (directrice du Cancer Systems Science Group au Cancer Institute) et Robert Biel (membre du Development Planning Unit). L’objectif principal de ce dialogue est de contribuer au lancement d’un forum de discussion et d’une plateforme de recherche, combinant idéalement des approches scientifiques et philosophiques, afin de cerner toutes les implications du champ de la complexité. La brèche actuelle, la béance qui sépare les deux visions de la complexité appelle une tentative de rapprochement, de lien, peut-être de synthèse en traversant les frontières disciplinaires, en faisant dialoguer la philosophie et la science, les conceptions « généralisées » et « restreintes » de la complexité.
L’entreprise est difficile, compte tenu de l’antagonisme fondamental, souligné par Edgar Morin, entre les deux approches. Compte tenu de l’ignorance mutuelle qui les caractérise actuellement, notre proposition consiste à mettre l’accent sur les ponts et liaisons que l’on pourrait jeter entre elles. On s’attachera d’autre part à détecter les signes d’une possible et prochaine confluence : les modélisateurs semblent manifester de plus en plus d’intérêt à l’égard des aspects épistémologiques de la pensée complexe ; et en même temps certains « penseurs complexes » semblent commencer à éprouver le besoin d’outils méthodologiques empiriques. Des antécédents notables d’une telle confluence peuvent être retrouvés dans les simulations de réseaux d’automates probabilistes d’Atlan, dans le modèle de l’autopoièse de Varela et Maturana, ou dans l’agrégation particulière de philosophie et de science réalisée par Denis Noble et Steven Rose (ATLAN, Henri, Entre le cristal et la fumée, Seuil, Paris, 1979 ; MATURANA, Humberto, and VARELA, Francisco, Autopoietic Systems, Universidad de Chile, 1972 ; NOBLE, Denis, The Music of Life. Biology Beyond the Genome, Oxford University Press, 2006 ; KAMIN, Leon, LEWONTIN, Richard, and ROSE, Steven, Not in Our Genes. Biology, Ideology, and Human Nature, Pantheon, New York 1985).
Notre objectif final est par conséquent de suggérer la possible liaison entre la pensée complexe, dans son sens philosophique et épistémologique et ce « nouveau type de science » (comme la dénomme Stephen Wolfram) de la modélisation de systèmes complexes adaptatifs.