Les sociétés contemporaines et les individus évoluent dans un monde de plus en plus saturé de technique. Les technologies initialement façonnées par l’ingénierie s’intègrent — à moins qu’elles n’échouent et disparaissent - dans un écosystème qu’elles contribuent à transformer. Les usages finaux reconfigurent les technologies et impactent le vécu et les modalités de coexitence des utilisateurs.
Thème 1 : Corps et technique
Technique, corps, individus, culture et société, représentations et usages sont modifiés par cet environnement et le modifient. Le web apparaît ainsi à la fois comme outil, champ et objet de recherche et comme un terrain global où émergent de nouveaux objets pour l’anthropologie.
Plusieurs chercheurs du IIAC, sous différents angles, développeront leurs approches des TIC, de leurs usages, de leurs formes et de leurs effets.
Ces questions suscitent de nouvelles interrogations et ouvrent de nouveaux défis théoriques et méthodologiques. Ainsi, en complément des approches classiques de l’anthropologie (observation participante, grounded theory, ethnographies) et en y intégrant des logiques de modélisation et d’accompagnement développées dans d’autres domaines (histoire, archéologie, sciences de l’environnement), dans le cadre du IIAC ont été publiées ou sont en cours de développement des études adoptant une approche dite « ethno-computationnelle » de certains phénomènes sociaux (A. Casilli). C’est dans ce cadre, notamment, qu’il est projeté d’élargir l’étude ICCU (Internet Censorship and Civil Violence https://iccu.wikispaces.com/), déjà en cours au Royaume-Uni et en Grèce, à des pays du Moyen-Orient et d’Afrique du Nord (Israël, Egypte, Tunisie, Maroc). Un projet européen (‘Transnationalism, new media, and the ongoing Arab revolts’) a été soumis dans le cadre du FP7. La mise en œuvre et à l’épreuve de ces nouveaux outils méthodologiques peut s’effectuer dans d’autres domaines, tel celui de la santé, du corps et de l’alimentation. Dans ce cadre, en capitalisant sur les compétences de recherche et sur les partenariats institutionnels acquis lors du projet ANAMIA (ENS, Institut Mines Télécom, University of Greenwich, Oxford Internet Institute, FING, Royal Society), un projet de recherche portant sur une cartographie des communautés de patients en ligne est en cours de conception en vue d’une soumission dans le cadre du programme ANR SocInnov (Société Innovantes) ou DSS (Déterminants Sociaux de la Santé) 2013 (cf infra).
Les travaux engagés ou préparés sur les biotechnologies ou les nanotechnologies, leur perception et leur réception, les risques et les questions qu’elles soulèvent, que ce soit en termes de santé publique, en termes éthiques, économiques, politiques, seront poursuivis et développés.
Une réflexion sera entamée (séminaire de recherche) sur une dimension essentielle de la sphère de la technê contemporaine : le déferlement des « big data » en sciences sociales et le développement de la « data science ». Il est désormais possible de stocker d’immenses quantités d’information brute, non structurée, par exemple des emails ou des traces de visites sur des sites web et de développer des algorithmes permettant d’analyser ces masses d’information pour faire apparaître des régularités ou des tendances. Souvent présentée comme « la fin de la théorie » (The end of theory, Chris Anderson, 2008) cette approche est porteuse d’une « gouvernamentalité algorithmique » (Antoinette Rouvroy) qui mérite d’être questionnée. Le défi que représentent les big data pour la recherche rend indispensable une réflexion et une revue critique méthodologique et théorique des « sirènes du grand à tout prix » (Casilli).
Cette approche, initialement amorcée par le séminaire "Etudier les cultures numériques" coordonné par Antonio Casilli, se développera dans le cadre d’une plus vaste collaboration avec des chercheurs de l’Institut Mines-Télécom, de l’Institut Interdisciplinaire de l’Innovation (i3) et du PRES Université Paris Saclay (UPSA) afin de mener une réflexion conjointe visant à monter un master "Socio-anthropologie du numérique" à partir de l’année universitaire 2015-2016.
Chercheur titulaire : Antonio Casilli, Claude Fischler, émérite : Georges Vigarello ; associé : Thierry Pillon, Sergio Dalla Bernardina
Thème 2 : L’anthropologie sur internet
Avec son système de communication en réseau à grande échelle, l’Internet change notre rapport aux autres et notre accès à leurs pratiques, représentations et valeurs, imposant de nouvelles formes d’échanges et d’interactions, de nouvelles façons de tisser des liens ou de se mettre en scène, des écritures spécifiques, des corpus inédits et réactualisés, des cultures planétaires. Sur la Toile, les espaces sociaux ou les modes de relation qui se créent, les informations qui circulent et les mondes virtuels qui s’inventent offrent aux anthropologues des terrains d’investigation facilement observables, à la fois proches et lointains, familiers et insolites (blogs, jeux, enchères et commerces en ligne, communautés virtuelles, etc).
L’internet s’impose donc de plus en plus comme un espace d’investigation anthropologique, qu’il s’agisse d’utiliser les données qu’on y trouve comme des sources donnant à voir (au prix de précautions méthodologiques qui restent largement à explorer) quelque chose de la communauté qui les produit, ou qu’il s’agisse d’étudier, en tant que telles, les nouvelles pratiques et communautés virtuelles qui s’y déploient (les deux démarches étant d’ailleurs dans ce cas concomitantes).
Organisé conjointement par le IIAC et par le Cemaf (Centre d’études des mondes africains), cet atelier de réflexion qui fonctionne depuis trois ans et prend la forme de deux ou trois rencontres annuelles, permet de confronter les méthodes et les résultats de différentes « enquêtes ethnographiques en ligne » afin d’esquisser une première réflexion épistémologique sur l’intérêt et la spécificité de ce nouveau terrain ou objet de recherche anthropologique.
Chercheurs titulaires : Daniel Fabre, Claudie Voisenat, Thierry Wendling, Antonio Casilli. Associée : Bérénice Waty.
Thème 3 : « Micro-macro » : les échelles de l’infra-humain
Un autre pan de la recherche dans cette perspective portera sur le petit et les changements d’échelle qu’il induit comme un paramètre pertinent de description, d’analyse et de compréhension des pratiques techniques. Des développements scientifiques et techniques majeurs, à l’ère moderne, ont fait émerger et proliférer de petites entités, si petites — invisibles parfois — qu’elles requièrent la conception de dispositifs particuliers pour les rendre visibles. De la bactérie à la nanoparticule en passant par le gène ou la puce électronique, notre monde s’est ainsi peuplé au cours du dernier siècle d’une série d’êtres ou d’éléments qui ne sont saisissables, observables et manipulables qu’à des échelles micro voire nanoscopiques. Au moyen de la méthode ethnographique, on abordera ces processus en portant attention aux techniques de production, gestion, manipulation ou monstration d’entités qui nécessitent des dispositifs singuliers pour pouvoir être saisies et manipulées : des virus, des nanoparticules, des molécules synthétisées, mais aussi des puces, des pixels, des caractères typographiques, des fragments de matière... Ce projet vise à décloisonner les études socio-techniques en les inscrivant dans une approche des cultures matérielles, et plus largement, dans un programme anthropologique des relations de l’homme au monde, aux mondes qui l’environnent.
Chercheure titulaire : Christine Jungen ; associée : Sophie Houdart.