La notion de « création », du fait de l’inflation, aussi extraordinaire que significative, de son usage, a mauvaise presse chez les analystes des pratiques et des valeurs de la culture. Or, cette notion indigène flottante se révèle du plus haut intérêt pour qui aspire à fonder une anthropologie de l’institution de la culture. N’est-ce pas, en effet, par la reconnaissance qu’il y a « création » de la part de l’artiste identifié aussi bien que du producteur anonyme que s’instaure la différence et la valeur des objets dès lors voués à un traitement culturel ?
Thème 1 : Observer les processus créateurs
Comment l’ethnographie peut-elle saisir en acte les processus créateurs. L’atelier, amorcé par deux années de séminaire, vise à identifier les situations où cette observation, directe ou indirecte, est rendue possible par la pratique créative et par l’œuvre elle-même. Les arts de la répétition, de l’esquisse et de l’improvisation autorisent l’accès à des moments et mécanismes du processus. Sinon la possibilité d’accéder soit à la mise en abyme de l’œuvre par son créateur soit au commentaire direct de celui-ci, soit à l’observation de la création en cours constituent autant de situations où quelque chose du processus est saisissable. Sans oublier les œuvres de fiction qui, pour les peintres et les musiciens essentiellement, ont tenté de traduire la traversée créatrice.
Chercheurs titulaires : Noël Barbe, Franck Beuvier, Giordana Charuty, Michèle Coquet, Odile Vincent, Daniel Fabre, Sylvie Sagnes, Associés : Emmanuel Terray, Marc Augé,
Thème 2 : Anthropologie des arts et de la relation esthétique
Le champ de l’anthropologie des arts s’est considérablement élargi : à l’étude des productions plastiques des sociétés exotiques qui l’avait originellement constitué, à celle des traditions stylistiques, de leurs transformations et de leur diffusion, et à leur analyse iconographique, a succédé une approche plurielle où l’anthropologie des arts, entendus au sens large comme l’ensemble des œuvres (plastiques, musicales, gestuelles, visuelles, poétiques,...), qui, quel qu’en soit le degré d’élaboration ou d’habileté, sont motivées par des intentions esthétiques, dialogue désormais avec d’autres disciplines telles que l’histoire, l’histoire de l’art, la sociologie, les sciences cognitives... Elle partage avec elles certaines préoccupations : un même intérêt pour la construction sociale des agents actifs dans le champ esthétique (auteurs, commanditaires, récepteurs, utilisateurs, etc.) et des objets qui y ont cours : analyse de la fonction des œuvres (politique, religieuse, économique, identitaire...) ; conditions et contextes de production, de création (apprentissage, transmission...) et de réception (émotion). L’atelier proposera d’explorer ou de revisiter des problématiques encore à défricher telles que : dimensions concrètes et cognitives du faire artistique, relation esthétique aux propriétés physiques des objets, ce que les savoir-faire doivent aux qualités sensibles de l’expérience, transmission des univers plastiques et esthétiques et reproduction de l’ordre social, élaboration formelle et expression des émotions, construction de la singularité dans des modes d’expression collectifs...
Chercheurs titulaires : Michèle Coquet, Octave Debary, Anne Monjaret, Thierry Wendling.
Thème 3 : Anthropologie du jeu
Dans le cadre d’une réflexion anthropologique générale sur le processus de création, le thème du jeu sera traité en associant étroitement histoire de l’ethnologie et ethnographies contemporaines. On considérera comment un objet particulier (le jeu) connaît selon le contexte intellectuel, politique et économique des intérêts très divergents : allant d’un fort engouement (à la fin du 19e s., avec les études liées au folk-lore et au diffusionnisme ; ou encore, à la fin du 20e s., dans le cadre des STAPS et avec l’émergence des game studies), à une indifférence presque totale (notamment tout au long de la période structuraliste). Ces études déboucheront tout naturellement sur l’ethnographie de phénomènes contemporains qui participent de l’institutionnalisation de la culture (la muséographie des jeux, les jeux traditionnels dans les processus du PCI, le retro-gaming, ...). L’étude de situations ludiques et de jeux précis sera par ailleurs menée en considérant plus particulièrement la question des valeurs : quels biens, quelles monnaies (réelles ou "fictives"), quels enjeux au sens large, circulent dans les jeux ? En bénéficiant de travaux historiques et ethnologiques (notamment sur les loteries, les courses, les jeux vidéo), cette perspective comparative devrait permettre de poser de nouveaux éléments de réflexion sur la place de l’enjeu, du pari et du don dans les relations sociales.
Chercheur titulaire : Thierry Wendling , associés : Ellen Hertz (U. Neuchâtel), Alice Sala (U. Neuchâtel), Grégoire Mayor (MEN), Federica Diémoz (U. Neuchâtel), Jhon Picard Byron (U. Haïti), Patrick Plattet (U. Fairbanks Alaska)
Thème 4 : Anthropologie de la littérature
Plusieurs manières d’aborder la question des relations entre anthropologie et littérature suscitent depuis des années de très fructueux débats qui laissent à part le thème de l’écriture des sciences sociales. Ils portent d’abord sur la définition même de ce qu’il faut entendre par « littérature ». Il est maintenant convenu d’admettre que les divers aspects de l’institution littéraire en général sont des objets légitimes. Celle-ci comprend, en particulier, une approche ethnographique de la figure moderne de l’écrivain, de sa mondialisation progressive et de son affrontement à d’autres manières d’être lettré. De plus, comme la notion de littérature orale apparaît comme tout à fait légitime, ses modes sociaux d’existence sont également un des thèmes de la réflexion collective. Cependant, les discussions les plus vives portent sur la littérature au sens restreint, c’est-à-dire sur le texte littéraire. En gros deux positions également légitimes se dessinent. L’une qui vise à faire servir les acquis de l’anthropologie à la compréhension des textes littéraires, proposant ainsi d’enrichir la science (ou la critique) des textes d’un volet dit « ethnocritique ». L’autre cherche à poursuivre avec la littérature une réflexion anthropologique qui commence par interroger ses limites en tentant de les dépasser dans les domaines où la littérature reconfigure, parfois profondément, le répertoire des questions formulées par la discipline. Plus généralement, certaines confluences idéologiques profondes semblent fonder le lien, privilégié parmi toutes les sciences sociales, entre l’anthropologie et la littérature. Elles tournent autour de la « fin des mondes sociaux » et de l’attention aux « derniers ». Sur ces différents points — enrichis d’une attention particulière aux situations de conflit linguistique et de littérature minoritaire — une série de publications et de rencontres devraient imposer le laboratoire comme le lieu où les diverses dimensions de cette relation fondamentale sont débattues.
Chercheurs titulaires : Daniel Fabre, Jean Jamin ; émérite : Philippe Gardy ; Associés : Jean-François Courouau (U. Montpellier), Anna Iuso (U. La Sapienza), Philippe Martel (U. Montpellier), Jean-Marie Privat (U. Metz), Marie Scarpa (U. Metz).