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Sous le signe du vivant. Pour jeter des ponts entre les sciences naturelles et les sciences humaines

par Chrystèle Guilloteau - publié le

PROGRAMME 2016-2017

Sous le signe du vivant. Pour jeter des ponts entre les sciences naturelles et les sciences humaines

Daniel S. Milo, maître de conférences de l’EHESS (TH) ( IIAC-CEM )

Lundi de 11 h à 13 h (salle des artistes, 96 bd Raspail 75006 Paris), du 6 mars 2017 au 12 juin 2017

Il semble admis que les sciences naturelles et les sciences humaines sont deux cultures irréconciliables (C.P. Snow). Certes, Aristote est le père fondateur des deux. Mais son œuvre est née avant la spécialisation à outrance et la dépendance technologique. Depuis le XVIIIe siècle, les sciences dures et les sciences molles ne cessent de s’éloigner. Le généticien type ne connaît rien en linguistique générative, et quasiment personne, à l’EHESS, n’a entendu parler des gènes Hox, pourtant constitutifs du développement de tout ce qui vit. Durkheim, Weber et Braudel n’ont pas été publiés dans Science ou Nature ; ces grands historiens du non-humain que sont Stephen J. Gould, Jared Diamond et Richard Dawkins n’ont jamais songé envoyer des articles aux Annales ou à Past and Present. Les deux cultures seraient donc condamnées à poursuivre leurs existences parallèles.

Le divorce est certes prononcé, mais il nous faut croire qu’il ne sera jamais consommé. Ce bel optimisme est fondé sur une évidence : microbiologie, sociologie, virologie, criminologie, anthropologie, droit, génomique, Evo Devo (synthèse entre évolution et développement), esthétique, immunologie, tous traitent du vivant. Les objets de la biologie respirent, digèrent, évacuent, meuvent, se reproduisent, meurent. Les objets des SHS aussi. Selon ce critère, ce seules la physique et la chimie feraient bande à part. Par contre le coq et l’âne ont suffisamment de traits communs pour légitimer leur étude comparée. Pour ce faire, il faut jeter des ponts conceptuels et méthodologiques d’une rive à l’autre. Exemples : introduire L’Origine des espèces de Darwin dans le canon de l’histoire, enseigner La Poétique d’Aristote à des biologistes. La liste est longue des ponts à construire entre les deux cultures, cette année nous nous focaliserons sur un : la neutralité. On lui adjoindra deux passerelles : le contexte et l’expérimentation.

Neutralité. Le neutre, en biologie, est ce qui n’a pas de valeur sélective ; qui ne sert pas à la survie de l’individu ou de ses gènes. En extension, le neutre est ce qui n’a pas de sens, de charge positive ou négative, de sexe, de position, d’opinion, de personnalité, de finalité. On étudiera la neutralité dans tous ses états et usages, en les divisant en trois branches : ontologique, subjective, méthodologique. Exemples de le neutralité « en soi » : Mort, noir et blanc, Nature, logique (2X2=4), entropie, chance, potentiel (cellules souches), mutations. Antonymes : sens, fonction, utilité, pourquoi, causalité, pertinence. Exemples de neutralité comme attitude : indifférence, ni-ni, dépression, cool, nirvana, Suisse, frigidité, blasé. Antonymes : militantisme, souci, paranoïa, oui et non, style. Exemples de la neutralité comme méthode : zazen (la méthode du Zen), conditions de laboratoire, Loi, Internet, médecine (serment d’Hippocrate), système métrique. Antonymes : biais, partialité, erreur, individualité, souffrance, « moi ».

Contexte. On ne peut pas étudier X sans le mettre dans un/son contexte – ceci est un axiome de la recherche, toute recherche. La contextualisation est donc un enjeu scientifique majeur. On l’approchera sous deux angles : la distinction entre environnement et milieu (Jacob von Uexküll) ; le postulat de la neutralité, savoir que X est non pertinent, insignifiant, indifférent jusqu’à preuve du contraire. C’est la question qui crée son contexte, i.e. fait le tri, dans tout ce qui se trouve dans un environnement donné, entre éléments neutres, qui constituent l’écrasante majorité, et éléments significatifs ou fonctionnels (milieu).

Expérimentation. Au XIXe siècle, Claude Bernard pouvait distinguer clairement les sciences de l’expérimentation – chimie, physique, médecine – des sciences de l’observation : les SHS et l’astronomie. Mais la pratique du laboratoire s’est depuis introduite dans la sociologie, dans la psychologie, et même en histoire. Il existe aussi des laboratoires spontanés, ainsi les émissions de télé réalité qui transforment les participants en cobayes. L’expérimentation est fondée sur l’utopie de la neutralité.