Mondes en ruptures, mondes inventifs met en valeur l’arc tendu entre un présent d’expériences et des représentations inscrites dans un futur projeté ; il analyse des objets inscrits dans des espaces situés, ceux où se manifestent ces ruptures et ces inventivités qui travaillent aussi bien l’agency que la subjectivation des acteurs, l’événement que son après-coup dynamique.
1. Révolutions et après-coup révolutionnaires
Abélès, Bouvier, Dawod, Ouedraogo, Wahnich
Le mot « révolution » interroge à nouveau la teneur politique des événements nommés comme tels, leurs dynamiques et le temps révolutionnaire.
J- B. Ouédraogo examinera les révoltes de l’intime de la jeunesse sur trois terrains africains : l’Algérie, le Maroc et le Burkina Faso qui offrent un contexte heuristique propice à l’observation de la dialectique triadique des rapports entre les subjectivités des jeunesses, les contraintes collectives et l’action politique publique. L’hypothèse d’une conjonction de la dimension subjective et politique dans l’affirmation politique des sujets permettra de répondre à deux questions : qu’est-ce qui a changé dans la vie des jeunes pour les pousser à investir massivement l’arène publique ? Quel type de transformation est advenu dans la configuration sociale des sociétés africaines pour engendrer ces mobilisations inédites ?
Dans une démarche analogue, P. Bouvier ré-interrogera le processus existentiel et sociétal des marches aux indépendances, le rôle joué plus particulièrement par la démobilisation des tirailleurs sénégalais dès après la grande guerre dans le mouvement long qui conduit aux indépendances. Il finalise ainsi des travaux socio-anthropologiques autour des effets de la colonisation. Un ouvrage et un numéro de la revue Socio-anthropologie sur les mémoires coloniales rendront compte de cette enquête.
S. Wahnich travaillera dans un rapport passé (Révolution française) présent (transformations néolibérales radicales) à la manière dont les commotions historiques révolutionnaires obligent à réinventer la cité, c’est-à-dire des liens politiques, civiques et civils nouveaux. Selon l’expression de Saint-Just, il faut alors « faire une cité ». Elle étudiera le cas grec où pour éviter la totale dissolution du lien social s’inventent des solidarités civiles et la situation française où certains membres du corps social, dans des lieux du politique qui ne prétendent pas prendre part au pouvoir, se proposent pourtant de changer les règles du jeu politique en s’affirmant constituants.
L’après-coup révolutionnaire peut n’être ni constituant, ni de survie mais produire un nouveau désir de despotisme comme l’avait évoqué Claude Lefort. Mais l’accent mis sur les questions de radicalité, extrémisme et terrorisme (parfois sans tenir compte de l’ambiguïté de ces termes) a conduit à minimiser les sacrifices énormes que les peuples arabes ont fait pour tenter de se débarrasser eux-mêmes de gouvernements tyranniques et essayer d’établir des démocraties. H. Dawod, en collaboration avec M. Abélès et S. Wahnich, travaillera sur la manière dont la confusion entre rétablissement de la paix et réinstallation de régimes autoritaires peut laisser une jeunesse désillusionnée sensible à la propagande de mouvements violents radicaux et ce, en particulier, en Syrie et en Irak.
Ces objets seront travaillés dans le cadre d’une série de colloques et d’ateliers en partenariat avec d’autres institutions : Despotisme extrémisme et transition démocratique dans le monde arabe avec The Arab Center for Research and Policy Studies et l’Institut Universitaire Européen de Florence (EUI) Robert Schuman Center for Advanced Studies ; Révolution et émancipation co-organisé avec LCSP Paris 7 Diderot ; Voltaïques en révolte : Insurrections, grèves, révolution(s) en Haute-Volta/Burkina Faso, en collaboration avec l’University of Illinois (USA), Universités de Ouagadougou I et II au Burkina, l’IMAF, l’Université d’Uppsala, Suède. Enfin l’IIAC est partenaire du colloque Un monde après Alep qui se tiendra à Paris Diderot en décembre 2017.
2 Expérimenter des mondes à venir
Barbe, Neveu, Ouedraogo, Saiag, Vanhoenacker
Si l’on considère que la question démocratique ne se limite pas à celle d’un régime politique mais consiste également, voire principalement, à faire société, la question des expérimentations des mondes à venir, et de nouvelles formes économiques, politiques et sociales, est centrale. Dans les renouvellements contemporains de l’expérience citoyenne s’inventent des critiques en actes, notamment avec l’émergence d’une « démocratie du faire » cherchant à inventer les pratiques et contours du commun.
C’est à l’observation et à l’analyse de certaines de ces expérimentations que s’attacheront des chercheur.es de l’IIAC dans les prochaines années, qu’il s’agisse de saisir les modalités de définition de ce contre quoi et pour quoi elles se constituent, d’articulation des temporalités ou de prise de décision.
L’IIAC renforcera notamment sa coopération avec le GIS Démocratie et participation, dont les objectifs se rapprochent considérablement de ceux travaillés à l’IIAC, coopération facilitée par le fait que Catherine Neveu sera présidente de son Conseil scientifique pour son prochain contrat 2017-2021. Une des dimensions importantes de cette coopération sera celle du « laboratoire social » comme forme nouvelle de coopération entre monde académique et « société » (C. Neveu), et de la réflexion sur la responsabilité sociale de la recherche et les formes de co-production des savoirs, réflexion menée également avec S. Laugier au CNRS depuis la tenue en mars 2017 du colloque sur les recherches au croisement des savoirs organisé avec ATD Quart Monde.
Repenser les liens entre économie et politique devient un enjeu important dans ce contexte. L’objectif sera de revenir à nouveaux frais sur la discussion entre dimensions économiques et politiques, souvent traitées comme disjointes et/ou occultées dans nombre de travaux sur les expérimentations citoyennes, de s’intéresser aux formes de mutualisation et financiarisation autour du/des commun(s) (H. Saiag, C. Neveu). La question des usages des nouvelles technologies dans ces expérimentations trouvera un écho avec les travaux menés par J.B Ouedraogo dans le cadre du programme Digital Emerging Countries, sur les usages de ces technologies, visant à développer une anthropologie de la communication s’intégrant dans le système d’échange.
S’intéresser aux expérimentations citoyennes ne peut se faire pleinement sans inclure dans la réflexion les transformations à l’œuvre au sein des institutions et de l’action publique, que ces expérimentations se tiennent délibérément à l’écart de celles-ci (N. Barbe), qu’elles soient « récupérées » par les institutions publiques ou que de nouvelles formes de coopération émergent au fil de la mise en œuvre de ces expériences, voire que les institutions promeuvent elles-mêmes des formes plus expérimentales. Il s’agit également de garder à l’esprit l’historicité de ces expérimentations, entre réactualisation, ou réactivation « d’innovations » déjà expérimentées (N. Barbe, S.Wahnich). De ce point de vue, l’analyse du scoutisme par M. Vanhoenacker invitera notamment à réfléchir à la transmission d’une mémoire de l’émancipation par l’éducation à la citoyenneté dans le mouvement scout. Les travaux seront également poursuivis avec les Centres sociaux (C. Neveu) sur les formes de politisation et de citoyenneté ordinaires, les effets de la stratégie de « développement du pouvoir d’agir » à la fois sur les engagements des habitants, les pratiques professionnelles, et les relations entre associations ou mouvement social et institutions publiques.
3. Anthropo-scènes
Bobbé, Ciavolella, Dalla Bernardina, Hazard
Explorer des « anthropo-scènes », c’est-à-dire des terrains qui, par delà la dichotomie nature/culture, permettent de repenser les changements socio-écologiques de la modernité tardive, est ici la visée du travail entrepris. L’analyse de sociétés fortement dépendantes des ressources naturelles et des réaménagements de paysages manufacturés se déploiera dans le cadre théorique d’un questionnement radical de l’anthropocène.
B. Hazard poursuivra ses recherches sur le « cycle social de l’eau » dans les sociétés d’éleveurs du nord Kenya, qui contribuent par leur agency à la maintenance des écosystèmes naturels. Il s’interessera également aux waterscapes en collaboration avec le Research Institute for Humanity and Nature (Kyoto, Japon). Du côté des recours aux technologies de géosciences promues par la « transition énergétique », il interrogera le cas de la géothermie dans la vallée du Rift. Enfin, il a initié une « recherche citoyenne » avec les étudiants de l’atelier de l’anthropocène portant sur la perception de l’environnement dans un paysage urbain soumis aux mutations du Grand Paris (Pierrefitte sur Seine, Nord de Paris).
R. Ciavolella mènera une recherche sur la réaction des populations lagunaires du Bénin aux politiques de développement et aux projets de réaménagement des berges et des bords de la lagune dans des contextes de marginalisation urbaine extrême.
S. Dalla Bernardina en portant l’accent sur la dimension historique du sentiment de la nature, et en mobilisant les sources littéraires, iconographiques et folkloriques, dans l’approche de la contemporanéité, étudiera des phénomènes aussi variés que l’engouement pour la Wilderness, le succès de végétarisme ou la popularité du Land Art non seulement dans une perspective synchronique mais par leurs antécédents et par les contraintes symboliques (qui sont elles mêmes d’ordre historique) qui les déterminent. Il convient alors d’insister sur la rupture opérée par une standardisation du discours sur la nature de la rhétorique environnementaliste (le discours sur les usages de la nature et notamment sur la chasse comme clé d’accès à des "cosmologies" alternatives). Dans un même ordre d’idées, S. Bobbé participe à un projet ANR déposé : « Europe ensauvagée, une nature en libre évolution ? Analyse des effets socio-spatiaux et culturels des nouveaux modes de valorisation et de protection de la nature en Europe.
B. Hazard mènera également une recherche sur la complexité environnementale des sites d’art rupestre du désert du Chalbi, à partir d’une méthode croisant l’ethnographie et les SIG, mise au point dans le cadre des recherches sur les pratiques de conservation des éleveurs Gabra (nord du Kenya). Cette recherche collaborative s’effectue avec des chercheurs du Musée National du Kenya, du Research Institute for Humanity and Nature de Kyoto (Japon), et de la fondation japonaise pour la science (Bureau de Nairobi).
L’ensemble de ces recherches réinterroge la notion de « ressources » et la manière dont une vision globale de l’environnement contribue à l’éviction d’une historicisation alternative à l’anthropocène. Il s’agit ainsi de repenser les ruptures et changements socio-écologiques de la modernité tardive, de comprendre comment s’inventent des manières d’y faire face.
4. Processus d’innovation, d’invention et de création
Charuty, Coquet, Barbe, Maisonneuve, Pasqualino, Shapiro, Vincent
La création sera appréhendée dans cet axe moins dans sa dimension actualisante, en tant que passage de la possibilité virtuelle d’un projet à la réalité de l’action et de l’œuvre, que dans celle d’un procédé permettant non seulement le surgissement d’expressions nouvelles, mais aussi l’invention d’autres rapports au temps, à l’histoire, à la culture, à la figure de l’artiste ou de l’amateur.
O. Vincent interrogera la façon dont certains peintres des années 1950 optent pour un changement radical de choix figural (passant du figuratif à l’abstrait, ou l’inverse), suivant une quête de ce qu’ils appellent la « vérité » en peinture, et recourant à des rites personnels d’anamnèse pour incarner dans leurs œuvres une expérience sensible, et quasi cathartique, des événements historiques. M. Coquet analysera les pratiques contemporaines des artistes hackers et la présence, dans leurs représentations relatives à la création, d’un imaginaire de la subversion invoquant le champ de la transcendance (délégation à la machine de fonctions mémorielles, de destruction et d’imprévisibilité — aléas, chaos, vitesse...).
Les pratiques populaires de création, quelque peu délaissées ces trente dernières années, feront également l’objet d’études approfondies. Le Salento (Italie) qui, dans l’immédiat après-guerre, était au cœur de la question méridionale, se trouve depuis 30 ans, faire l’objet d’une mise en valeur culturelle, intensifiée ces dernières années avec l’élection de Matera comme prochaine « capitale européenne de la culture ». G. Charuty et M. Coquet poursuivront l’enquête conduite dans cette région (dans le cadre d’un programme de la convention EHESS-Ecole française de Rome- Institut Gramsci- Association Ernesto De Martino- Académie Sainte Cécile) pour restituer la complexité de figures de créateurs, issus de milieux populaires et nourris d’expériences de migration et de leurs œuvres, dont ne rendent pas compte les catégorisations établies par l’histoire de l’art. Elles montreront comment ces créateurs sont saisis à des degrés divers par un mouvement conjoint de requalification d’un territoire, de déplacement des anciennes notions d’ « art des fous » ou d’ « art populaire », et d’utopie esthétique qui entend universaliser la figure du sujet créatif.
Les recherches de S. Maisonneuve sur la musique enregistrée s’efforcent de comprendre comment s’articulent, sur un long vingtième siècle (de 1877 à 2017), des dynamiques souvent pensées comme opposées dans les mondes de l’art : esthétisation et technicisation, marchandisation et patrimonialisation. À partir de l’analyse des pratiques amateurs, elle s’intéresse à la manière dont ceux-ci construisent leur relation à la musique et inventent de nouvelles formes esthétiques et de nouveaux régimes de valeurs. Roberta Shapiro travaille à une socio-histoire de la danse hip-hop en France, pour tenter d’en comprendre les mutations progressives, la multiplicité de sens et de valorisations. Celles-ci varient selon les acteurs (danseurs descendants d’immigrés ouvriers, entrepreneurs culturels, élus locaux, fonctionnaires territoriaux ou d’administration centrale). Le monde social de la danse hip-hop se constitue autant dans les effervescences (défis entre jeunes) que dans les institutions les plus intégrées de la République (conseils des ministres, théâtres, télévision).
D. Puccio-Den s’interroge, d’une part, sur l’activité artistique d’un magistrat anti-mafia dont elle écrit la biographie "nocturne" à partir des installations qu’il a fabriquées chez lui, en essayant de saisir les enjeux de ce processus de création dans le rapport que ce juge (dont la vie est sous une menace permanente) entretient avec la mort, le temps et l’Histoire ; d’autre part, elle conduit un terrain ethnographique sur la kizomba, un tango angolais tout récemment "réinventé" en banlieue parisienne, en s’efforçant de comprendre comment cette pratique artistique, novatrice sur le plan de la danse, de la musique et du mixage, s’articule avec les origines des danseurs ou des D.J. qu’ils soient africains, caribéens ou français d’origine étrangère.
V. Bénéï explorera la fonction de l’arthérapeute, jouissant d’une compétence double, artiste et soignant. Il s’agit d’explorer les conditions de possibilité pour que la médiation artistique devienne un « objet-frontière » des sciences humaines et de la santé (concept créé par deux chercheurs américains, Susan Leigh Star et James R. Griesemer) » et ainsi de les décloisonner. Un second programme en cours consiste en une étude expérimentale sur la pratique de « Danse Médecine » (movement medecine). Celle-ci est fondée sur un enseignement corporel qui allie le bénéfice des dernières découvertes scientifiques et thérapeutiques liées aux corps, affects et émotions. Ces recherches sont menées en collaboration avec des partenaires et/ou financements nationaux et internationaux.