Docteure de l’École des Hautes Études en Sciences Sociales
Membre associée au IIAC – EHESS
Membre de l’Association Française de Sociologie
Membre du Réseau des jeunes chercheurs en Santé et Société
SUJET DE THÈSE
Résumé (English below)
L’altération du sexe des femmes africaines et afropéennes a souvent été appréhendée comme relevant d’institutions culturelles, de conventions ou de normes sociales régissant les rapports sociaux de sexe au sein des groupes la pratiquant. Proposant une interprétation en termes de technologie – le dispositif de la lame comme un ensemble de discours, de pratiques et d’expériences incorporées – cette thèse questionne le déploiement du dispositif de la chirurgie des mutilations en France. Quel est le devenir du sexe altéré des femmes à l’épreuve de la lame ? Quels sont les enjeux attachés au corps, à la sexualité et à la souffrance des femmes excisées que révèle l’intérêt singulier suscité par les mutilations sexuelles dans la société française des époques moderne et contemporaine, période coloniale comprise ? La médecine s’attelle-t-elle à guérir les femmes des mutilations ou à soigner la violence infligée par la lame à leur sexe ?
Pour étayer ce questionnement, le travail envisage la question des mutilations sexuelles féminines (MSF) comme un objet de savoirs (médicaux, anthropologiques, féministes) et d’interventions (mobilisations anti-MSF, santé publique, droit, médias, chirurgie génitale ou psychothérapie du traumatisme). L’enquête se base ainsi sur l’analyse d’un vaste corpus de sources collectées et produites par un travail archivistique, documentaire et ethnographique : archives manuscrites et audio-visuelles, documents administratifs, littérature grise, données produites par observation participante et une série d’entretiens dans le cadre de deux terrains en milieux hospitaliers. Ce faisant, cette enquête généalogique s’inscrit dans une perspective critique intersectionnelle inspirée de l’anthropologie historique, de la sociologie des sciences et des techniques (STS), de l’épistémologie de l’ignorance, des études genre, et des études post- et dé-coloniales. En outre, l’articulation des rapports entre sexualité, corps, violence et technologie de genre est étudiée via l’ethnographie des pratiques médicales observées dans deux protocoles de chirurgie réparatrice.
L’apparition au début des années 2000 en France de cette innovation technique – la chirurgie réparatrice des MSF ou transposition du clitoris –, constitue le point de départ de l’analyse, laquelle vise deux objectifs. D’une part, elle vise à problématiser l’évidence de l’option chirurgicale, en ce qu’elle naturalise et célèbre le scalpel comme instrument de libération des femmes Noires et excisées. Ce cadrage, hérité d’une imbrication du discours sur les mutilations sexuelles (médecine, anthropologie, plaidoyer menées au nom d’un féminisme universaliste internationaliste), se trouve désormais institutionnalisé dans les politiques de santé publique, dans la reconnaissance d’une condition médicalisée de victime, et dans l’offre et les protocoles de soins remboursés. L’histoire et la cartographie de ce processus sont retracées. La naissance d’une médecine des MSF, en particulier l’invention d’une nouvelle sous-discipline en gynécologie spécialisée dans la transposition du clitoris, est également réinscrite dans une histoire plus longue de la pathologisation du sexe des femmes Noires et autres "déviantes" (tribades, hermaphrodites) qui relèvent de différentes versions de l’anatomie racialisé du sexe du XVIIe siècle à nos jours.
De l’autre, le parti pris analytique consiste à opérationnaliser le principe de symétrie entre l’excision et la chirurgie du clitoris en les reconsidérant l’un et l’autre sous l’angle de leur technicité, autrement dit en tant que technologies de soi, de genre, et du soin. Une telle perspective rend possible l’analyse des pratiques d’altération du sexe des femmes africaines et afropéennes, des discours afférents et des politiques représentationnelles Pornotropic qui fabrique la marchandisation du Corps Noir Altéré sans pour autant reconduire les oppositions binaires entre barbare/civilisé, intégrité/mutilation, santé/maladie, validité/handicap. Dès lors, cette thèse donne à lire, à partir du point de vue des femmes concernées, la singularité des modes d’existence incorporés de la lame et de la sexualité.
Resume
The genital alteration of African and Afropean women has often been seen as part of cultural institutions, conventions or social norms governing gender relations within the groups that practice it. Proposing an interpretation in terms of technology - the blade device as a set of discourses, practices and incorporated experiences - this thesis questions the deployment of the FGM surgery device in France. What is the becoming of the altered genitals of women under the blade test ? What are the issues related to the body, sexuality and suffering of excised women revealed by the singular interest aroused by female genital mutilation in French society in modern and contemporary times, including the colonial period ? Is medicine working to cure women from mutilation or to heal gender violence inflicted by the blade ?
To support this questioning, the work considers the question of female genital mutilation (FGM) as an object of knowledge (medical, anthropological, feminist) and interventions (anti-FGC mobilizations, public health, law, media, genital surgery or trauma psychotherapy). The survey is thus based on the analysis of a vast corpus of sources collected and produced by archival, documentary and ethnographic work : manuscript and audiovisual archives, administrative documents, grey literature, data produced by participating observation and a series of interviews in the context of two fieldworks in hospitals. In doing so, this genealogical investigation is part of an intersectional critical perspective inspired by historical anthropology, the sociology of science and technology (STS), the epistemology of ignorance, gender studies, and post- and de-colonial studies. In addition, the articulation of relationships between sexuality, body, violence and gender technology is studied through the ethnography of medical practices observed in two protocols of clitoral reconstructive surgery.
The emergence in France in the early 2000s of this technical innovation - MSF repair surgery or clitoral reconstruction surgery - is the starting point for the analysis, which has two objectives. On the one hand, it aims to problematize the evidence of the surgical option, in that it naturalizes and celebrates the scalpel as an instrument for the liberation of Black and excised women. This framework, inherited from an intertwining of discourses (medicine, anthropology, advocacy against FGM carried out in the name of an internationalist universalist feminism), is now institutionalized in public health policies, in the recognition of a victim’s medical condition, and in the provision and protocols of reimbursed care. The history and mapping of this process are traced. The birth of FGM medicine, in particular the invention of a new sub-discipline in gynaecology specialising in clitoral transposition, is also part of a longer history of the pathologisation of the genitals of Black and other "deviant" women (tribades, hermaphrodites) which belong to different versions of racialised anatomy of the sex from the 17th century to the present day.
On the other hand, the analytical bias consists in operationalizing the principle of symmetry between FGC and clitoral surgery by reconsidering both in terms of their technicality, in other words as technologies of self, gender, and care. Such a perspective makes it possible to analyze genital alteration practices of African and Afropean women, related discourses and Pornotropic representational policies that produce the commodification of the Black Altered Body without renewing the binary divide between barbarian/civilized, integrity/mutilation, health/disease, validity/disability. Therefore, this thesis gives a reading, from the point of view of the women concerned, of the singularity of the modes of existence incorporated in the blade and sexuality.
FORMATION
2019 : Doctorat en Sociologie – EHESS, Paris.
Titre de la thèse : "Savoirs, Représentations & Pratiques d’intervention sur le Sexe altéré des Femmes Noires (France, XVIIe-XXIe siècle). Le dispositif biopolitique de la chirurgie des mutilations sexuelles : Technologie de genre, Race, Réparation et Soin".
Title of the Ph.D : Knowledges, Representations & Practices of Intervention on the Black Women Altered Genitals (France, 17th-21st century). The biopolitical device of FGM surgery : Gender technology, Race, Reparation and Care
Directeur : Philippe Bataille
Rapporteurs : Cynthia Kraus & Bettina Shell-Duncan
EXPÉRIENCE
2010 Sept. - Août 2013 : Allocataire d’une bourse de recherche doctorale de la CNAMTS.
2012, Visiting Fellow, Université de Californie, Berkeley, Department of Women and Gender Studies.
2018- en cours, Conception d’une plateforme digitale de médiation scientifique sur les droits et la santé sexuelle des jeunes femmes excisées Afropéennes. https://baadon.com
RECHERCHE
Thématiques :
Études sociales des sciences, médecine, Formation de Genre & Sexualité, Féminisme transnational, Études post et dé-coloniales, Anthropologie critique, Sociologie de la santé
Méthodologie :
Ethnographie, entretien, archives manuscrites, audiovisuelles, documents administratifs, questionnaire
PUBLICATIONS
Expertise
09/2015, Rapport annuel,"FGM : Law and Practice : Policy Needs and Background, Sara Johnsdotter, Ruth Mestre i Mestre, coordinateurs, European Network Experts in Gender and Equality (ENEGE http://ec.europa.eu/justice/genderequality/files/documents/160205_fgm_europe_enege_report_en.pdf
Traduction
De l’anglais au français. Paola Bacchetta, 2017, "Orientations pour la résistance transnationale : L’épistémologie décoloniale queer de Gloria Anzaldúa et des lesbiennes racisées (subalternes) en France", GRIC n°8 Colonialité, genre et multiculturalismes : Europe et Amériques, publié en ligne le 14/12/2017.
COMMUNICATIONS
Conférences
27 janvier 2015, Colloque "Prise en charge des femmes excisées, 1ère consultation internationale", Université Paris-1 & École des Hautes Études en Sciences Sociales "Entre droit et soin, le dispositif de prise en charge des femmes excisées en chirurgie réparatrice en France : enjeux des protocoles de soin".
COORDINATION
Co-organisation
03/2014-01/2015, Coordinatrice, Colloque international "Prise en charge des femmes excisées, 1ère Consultation international", Amphithéâtre Louis Liard, Université Paris-1 Panthéon Sorbonne & Ecole des Hautes Études en Sciences Sociales, 27 & 28 janvier 2015. https://www.canalu.tv/producteurs/ehess/centre_d_analyse/prise_en_charge_des_femmes_excisees