Rencontre organisée par Michel Burnier (Université de Brest) et Véronique Nahoum-Grappe (Centre Edgar Morin)
Le 24 mai 2011 de 15 h à 17 h
au CEDIAS-Musée Social, Salle de réunion, 3° étage - 5 rue Las Cases, Paris 7e
Autour de lʼédition italienne de lʼouvrage de Pierre Naville, La Passion de lʼavenir, Dernier Carnet, 1988-1993 (Ed. Maurice Nadeau, Paris, 2010).
Ricordi e pensieri, lʼultimo quaderno 1988-1993
Trad. Antonella Marazzi, Roberto Massari ed., 2010
SOCIOLOGIE, SCIENCES ET POLITIQUE. Quel est lʼhéritage du matérialisme scientifique ?
Dans son « Dernier Carnet », rédigé les cinq dernières années de sa vie (1988-1993), Pierre Naville définit la sociologie comme nʼétant pas une « science ». En même temps, elle est tenue, à chaque stade, dʼintégrer, elle qui nʼest pas une science, les dernières avancées des sciences, puisque sa fonction distinctive est de repérer les formes historiques et sociales à venir, inscrites en germe dans la contemporanéité.
Elle doit donc repérer ce qui sʼinvente dans les pratiques sociales encore non élucidées, ou brouillées. Le sociologue navillien sait quʼil nʼa pas toutes les clés de compréhension en face de ce qui se trame dans le monde présent : cʼest cette incertitude qui inscrit la nécessité de lʼusage de la logique contre elle-même parfois, en face des données dont il faut accepter lʼirréductible spécificité. La sociologie nʼest pas prisonnière dʼune méthodologie particulière, mais plutôt du respect de la logique qui découle des faits décrits aussi objectivement que possible en lʼ état actuel des outils venus de toutes les disciplines.
La valeur de la sociologie est donc politique si elle se définit par sa capacité dʼanticiper le réel social. Dans ce Carnet, on est étonné de constater à quel point Naville fait fonctionner cette façon de poser des problématiques orientées vers le possible plausible. Il sʼinterroge sur la financiarisation des échanges, l’avenir du salariat fonctionnarisé dʼEtat, lʼavenir international de la Chine, la fin de la forme politique « parti » hérité des jésuites, la culture dʼune classe dʼâge, etc.
La sociologie est donc assise sur les sciences, et cʼest cela qui la constitue comme dʼemblée politique aussi parce que les pouvoirs dominants tendent à sans cesse défigurer les formes historiques qui « sʼinventent dans les pratiques sociales ». La sociologie est politique puisquʼelle restitue à lʼinventivité collective son pouvoir sur le réel historique, ne serait-ce quʼen le décrivant ! Ici les questions de méthode sont cruciales, même si leur choix suppose toujours en amont une sourde idéologie. Pour Naville, ces choix sont explicites et clarifiés : le socle du sérieux « scientifique » de sʼappuyer sur le matérialisme scientifique qui depuis le XVIII° siècle surtout ouvre non seulement un champ de butées à respecter nécessairement (un système articulé de contextes inscrit dans la matérialité des faits,et dont la sociologie se doit de rassembler l’infrastructure, à redéfinir sans cesse en fonction des avancées scientifiques des autres disciplines), mais aussi sur le vide formidable de la liberté de penser.
Après trois exposés introductifs de Roberto MASSARI, Pierre ROLLE, et François VATIN un large débat sera ouvert autour de la définition de la discipline sociologique, de son lien avec la science, et de ce quʼelle peut apporter à notre présent politique.